Espagne = Les inscriptions présentées par les prophètes dans l’art de l’Occident médiéval – catalogue et édition

Par Françoise Gay
Publication en ligne le 11 mars 2019

Texte intégral

1Note des éditeurs : Le présent catalogue propose l’édition des inscriptions mentionnées dans l’article en trois parties « Il a parlé par les prophètes. Les inscriptions présentées par les prophètes dans l’art de l’Occident médiéval » publié en 2017 et 2018 dans la revue In-Scription. Il fournit au lecteur les informations complémentaires aux réflexions de son auteur et rassemble un corpus original d’œuvres d’art et d’inscriptions à travers l’Europe, dispersées jusqu’à ce jour dans des publications diverses, d’accès parfois difficile. Les notices reprennent la structure et les normes d’édition du Corpus des inscriptions de la France médiévale, en les adaptant parfois légèrement en fonction de la source des transcriptions. Le commentaire concerne principalement la forme de la citation prophétique et son interprétation renvoie aux développements publiés dans l’article. Quelques-unes des inscriptions citées dans le texte n’ont pas été reprises ici ; d’autres ont été ajoutées a posteriori, sans affecter cependant les grandes lignes dégagées au cours de cette étude.

ARMENTIA, église - Tympan réemployé dans le porche sud

2Ce tympan de la fin du xiie siècle est divisé en deux parties et entouré d’une inscription. L’Agneau représenté avec une croix figure dans une mandorle au centre de la partie supérieure dont la bordure comporte aussi un texte. De chaque côté se tiennent deux personnages agenouillés : Jean-Baptiste à gauche, et Isaïe à droite du spectateur. Une inscription figure également sur le bandeau qui sépare le tympan en deux parties. Un chrisme présenté par deux anges occupe la partie inférieure. Le sens général de l’œuvre a été analysée de façon précise par Robert Favreau qui retrace les origines du thème, l’association du Christ à l’Agneau du sacrifice, mais aussi au lion vainqueur de la mort, ceci avec un minimum de recours aux images. Le parallélisme lion/agneau est souvent utilisé dans la littérature patristique médiévale.

3Les inscriptions ont été relevées grâce au cliché et surtout a dessin de Jean Michaud publiés dans l’article de Robert Favreau.

4Favreau, « Le tympan roman d’Armentia. Iconographie et Épigraphie », s.d., p. 93-102.

5L’écriture est très régulière et tous les mots sont séparés par trois points. Les textes sont en majuscules mais un H minuscule est utilisé dans le mot Sabbaoth. On remarque de nombreuses onciales, M, D, E, T. Tous les mots sont entièrement écrits, sauf la signature du sculpteur qui comprend de nombreuses lettres incluses : E dans le D de Rodericus, I sans le second R.

Bandeau semi-circulaire

+ REX ⁝ SABBAOTH ⁝ MAGNVS ⁝ DEVS ⁝ EST ⁝ DICITVR ⁝ AGNVS ⁝

+Rex sabbaoth magnus Deus est dicitur Agnus.

Dieu, roi des armées, est appelé Agneau.

6Plusieurs versets bibliques peuvent avoir inspiré l’inscription, R. Favreau propose : Jérémie, XI, 20, Romains, IX, 29 ou Jacques V, 4.

Inscription autour de la mandorle

+ . MORS EGO SVM MORTIS : VOCOR: AGNVS: SVM LEO FORTIS

+Mors ego sum mortis, vocor agnus sum leo fortis.

7Moi, je suis la mort de la mort, je suis appelé Agneau, je suis le lion fort.

Jean-Baptiste

IOhS ⁝

⁝ BBA ⁝

ECCE AGNVS DEI

Ioh(anni)s B(aptist)a. Ecce Agnus Dei.

Jean-Baptiste. Voici l’Agneau de Dieu.

8Jean I, 29. Le deuxième B est sans doute mis à la place du P, ce qui est étonnant dans le cadre d’un ensemble aussi soigné.

Isaïe

ISAYAS

SI[---] OVIS

Isayas. Si(cut) ovis.

Isaïe. Comme une brebis.

9Isaïe LIII, 7. Ce verset d’Isaïe, peu fréquent dans les inscriptions est repris dans le Nouveau Testament et figure dans pratiquement tous les textes de la controverse.

À gauche du chrisme

ANGELVS

Angelus

Ange.

À droite du chrisme

DEI NVNCIVS

Dei nuncius.

Envoyé de Dieu.

10Cet ensemble d’inscriptions dont le thème est très éloigné des cycles rassemblés ici comprend une citation repérée à plusieurs reprises du xiie au xvie siècles.

RIPOLL, église Sainte-Marie - Voussures du portail

11Dans l’ensemble sculpté de la façade de Santa María de Ripoll, daté de la moitié du xiie siècle, la seconde voussure du portail est consacrée à deux cycles de l’Ancien Testament, commençant au sommet de l’archivolte et se déroulant vers le bas. Il s’agit à gauche de l’histoire de Jonas et à droite, celle de Daniel. L’histoire de Daniel est aussi évoquée sur les six panneaux décorant le bas de la façade, de chaque côté du portail.

12Nous utilisons ici le relevé publié par G. Gaillard, y compris ses restitutions1.

13Gaillard, « Ripoll » 1959, p. 144-159.

14Cabrera Garrido, Le portail de Santa Maria de Ripoll, pl. 6, voir article en pdf, 29/09/14.

15Catalunya Romanica, t. X, photographie générale, portail vu sous les deux angles, p. 234-235, schéma détaillé, p. 237.

16Melero Moneo, « La propagande politico-religieuse du programme iconographique de Sainte-Marie de Ripoll », 2003, p. 135-157.

Jonas

HOC FIT VERBVM SVPE IONAM

Hoc f(u)it verbum supe(r) Jonas.

Cette parole fut sur Jonas.

17Jonas I, 1.

Jonas

IONAS IN VENTRE CETE

Jonas in ventre cete.

Jonas dans le ventre de la baleine.

18L’emploi du mot cete (pour ceti) indique que l’inscription est inspirée de Matthieu XII, 10 qui reprend Jonas II, 1.

Jonas

EVOMVID PICIS IONAM

Evomuid picis Jonam.

Le poisson rejetta Jonas.

19Jonas II, 11.

Jonas

IC PRED(ica)D NINIVE

Ic predicad Ninive.

Celui-ci prêche à Ninive.

20Il ne s’agit pas d’un texte biblique précis, mais d’une allusion au livre III 1-10 du livre de Jonas ; Jonas III, 2 : Surge et vade in Ninive civitatem magnam : et praedica… ; TOB : va à Ninive la grande ville et profère contre elle… .

Daniel

VISIO QVAM VIDIT NABUCHODONOSOR

Visio quam vidit Nabuchdonosor.

Vision qu’a eu Nabuchodonosor.

21Ces mots ne correspondent pas à un texte biblique, mais correspond aux différents récits de rêves que Daniel explique au souverain.

Daniel

STATVAM AVREAM QVAM EREXIT NABVCO

Statuam auream quam erexit Nabuco[donosor].

La statue d’or qu’a érigée Nabuchodonosor.

22Daniel III, 1.

Daniel

TRES (in) CAMINO IGNIS

Tres (in) camino ignis.

Trois (hommes) dans la fournaise de feu.

23Daniel III, 23.

Daniel

ABACVC DANIEL IN LACV LEONVM

Abacuc. Daniel in lacu leonum.

Habacuc. Daniel dans la fosse aux lions.

24Daniel VI, 16.

25Les versets de Daniel sont souvent cités au Moyen Âge, tant dans des textes patristiques qu’en épigraphie. Ils ont souvent un sens christique, tout comme Jonas II, 1.

SAINT-JACQUES DE COMPOSTELLE, cathédrale - Portail de la Gloire

26Le portail de la Gloire se dresse à l’extrémité de la nef, derrière la façade baroque. Une inscription précise la date de sa mise en place, en 1188. Le tympan de ce portail montre le Christ en croix entouré des anges portant les instruments de la Passion, des évangélistes et des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, les élus figurant au-dessus des anges. Il a donc pendant longtemps été identifié comme portail du Jugement dernier.

27Ce portail et son environnement ont été modifiés à plusieurs reprises. À l’origine, le portail ouvrait sur la ville, puis en 1520 des portes ont été posées, entrainant une mutilation de l’ensemble. Enfin, la façade actuelle a été édifiée en enfermant totalement le portail. À l’origine, selon le Liber sancti Jacobi cité par F. Prado-Vilar, les portes de la basilique ne se fermaient jamais, reprenant ainsi l’évocation de la Jérusalem céleste2. Les statues d’apôtres et prophètes qui ont été conservées étaient précédées de figuration d’autres prophètes, Énoch et Élie dont les statues anépigraphes sont conservées au musée de Pontevedra et aussi Jérémie et Ezéchiel désormais au musée de la Cathédrale Saint-Jacques. Selon F. Prado Vilar, la présence de ces quatre prophètes était essentielle pour exprimer le thème de la Cité Céleste, Élie et Énoch comme témoins de l’Apocalypse, Jérémie et Ézéchiel dans la mesure où leurs révélations évoquaient la fin de la Jérusalem terrestre et la nécessité pour le peuple hébreu de changer pour préparer l’avènement de la Jérusalem céleste évoquée par l’architecture verticale du portail3.

28À gauche de la porte centrale se trouvent Moïse, puis Isaïe, Daniel et Jérémie. À droite du portail se tiennent Pierre portant les clefs, Paul tenant un livre ouvert avec une inscription, puis Jacques en pèlerin présentant aussi un texte, et enfin Jean citant l’Apocalypse. Moïse, Daniel et Jérémie sont âgés et barbus, tandis que Daniel est jeune et imberbe.

29Gaillard, « Le porche de la Gloire à Saint-Jacques de Compostelle et ses origines espagnoles », 1958, pl. 4.

30Prado-Vilar, « Stupor et mirabilia », 2014, p. 170-204.

Moïse

31Il présente les Tables de la Loi.

HONORA

Honora.

Honore.

32Exode XX, 12. Sans doute s’agit-il, dans le cadre de la Révélation, de rappeler la Loi.

Isaïe

33Le prophète porte un phylactère.

ISAIAS PROPHETA STAT AD IVDICANDVM DOMINVS ET STAT AD IVDICANDOS POPULOS

Isaias propheta. Stat ad judicandum Dominus et stat ad judicandos populos.

Le prophète Isaïe. Le Seigneur se tient debout pour le jugement et il se tient ferme pour juger les peuples.

34Isaïe III, 13.

Daniel

DANIELIS PROPHETA. ECCE ENIM DEVS NOSTER QVEM COLIMVS

Danielis propheta. Ecce enim Deus noster quem colimus.

Le prophète Daniel. Voici notre Dieu que nous honorons.

35Daniel III, 17 : Ecce enim Deus noster quem colimus… ; TOB : Si notre Dieu que nous servons peut nous délivrer… .

Jérémie

HIEREMIAS PROPHETA. OPVS ARTIFICIVM UNIVERSA

Jeremias propheta. Opus artificium universa.

Le prophète Jérémie. Toutes du travail d’artistes.

36Jérémie X, 9. Le texte de Jérémie cité ici conclut une argumentation contre les idoles.

Jean

VIDI CIVITATEM SANCTAM HIERUSALEM NOVAM DESCENDENS DE COELO A DEO.

Vidi civitatem sanctam Hierusalem novam descendens de coelo a Deo.

Je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendant du ciel, d’auprès de Dieu.

37Apocalypse XXI, 2.

38Avec la nouvelle interprétation de cette partie de la cathédrale, on se trouve face à un ensemble de textes plus cohérent, mais il manque les textes des quatre statues, Élie, Énoch, Isaïe et Jérémie.

SAN PEDRO DE LA NAVE, église - Chapiteau de Daniel

39Cette église du viie siècle possède deux chapiteaux historiés représentant Daniel dans la fosse aux lions et le Sacrifice d’Abraham. Le texte inscrit au-dessus de la représentation de Daniel entre les deux lions est le plus ancien répertorié dans notre étude. La transcription a été effectuée d’après le cliché paru dans L’Europe des invasions.

40Hubert, Porcher, Volbach, L’Europe des invasions, 1967, p. 86.

41Le texte en scriptio continua est composé de lettres de grand module au tracé simple ; on remarque un D triangulaire et un O en navette. Il n’y a que deux lettres entrelacées, le N et le V de leonum. L’inscription semble se poursuivre sur la face suivante du chapiteau.

Daniel

+VBI DANIEL MISSVS EST IN LACVM LEONVM

Ubi Daniel missus est in lacum leonum.

Là, Daniel est jeté dans la fosse aux lions.

42Daniel VI, 16.

TARRAGONE, cathédrale - Portail

43Œuvre de Bartholomeo, le portail occidental présentent, au niveau du milieu de la porte, des statues de prophètes et d’apôtres ; elles auraient été réalisées entre 1277 et 1282. Les soubassements du portail illustrent la Genèse et, de façon habituelle, le Jugement Dernier est représenté sur le tympan. Les inscriptions n’étant guère lisibles, nous utilisons ici les relevés des textes de Jérémie et Habacuc par J. Durand.

44Durand, « Les Monuments français du Moyen Âge », 1888, p. 545-546.

45Erlande-Brandenburg, La conquête de l’Europe, 1987, p. 138 et cliché p. 137.

Jérémie

HIEREMIAS

HIC EST DEVS NOSTER ET NON AESTIMABITVR

Hieremias. Hic est Deus noster et non aestimabitur…

Le prophète Jérémie. Voici notre Dieu et (aucun autre) ne sera considéré.

46Baruch III, 36-37*.

Habacuc

ABACVC

DOMINE AVDIVI AVDITVM

Abacuc. Domine, audivi auditum.

Habacuc. Seigneur, j’ai entendu ton annonce.

47Habacuc III, 2. Il s’agit ici de la formulation de ce verset dans la Vetus Latina.

48Ces deux textes sont les inscriptions datées les plus récentes de notre catalogue principal, mais ils correspondent aux citations classiques et fréquentes du xiie siècle.

Documents annexes

Notes

1 GAILLARD, « Ripoll », 1959, p. 155.

2 PRADO-VILAR, « Stupor et mirabilia », 2014, p. 183.

3 PRADO-VILAR, « Stupor et mirabilia », p. 195.

Pour citer ce document

Par Françoise Gay, «Espagne = Les inscriptions présentées par les prophètes dans l’art de l’Occident médiéval – catalogue et édition», In-Scription: revue en ligne d'études épigraphiques [En ligne], Livraisons, Deuxième livraison, mis à jour le : 23/10/2019, URL : https://in-scription.edel.univ-poitiers.fr:443/in-scription/index.php?id=311.